La semaine passée, une de mes consœurs coachs et femme d’affaires me partageait son hésitation linguistique. Quel terme devrions-nous utiliser pour qualifier une femme qui a la fibre entrepreneuriale ? Autrement dit, quelle est la forme féminine du terme « entrepreneur » ?
Avant-propos : je ne rentrerai pas ici dans un débat sur la place des entrepreneures* dans le milieu des affaires, mais je partagerai avec vous le fruit de mes recherches à ce sujet, de façon objective et en toute humilité.
1. Que nous dit la grammaire à ce sujet ?
Pour commencer, rappelons la règle de formation des formes féminines des mots en « -eur ». Voici ce que nous dit l’Office québécois de la langue française (ci-après OQLF ou l’Office) à ce sujet :
« A) Pour les formes en -eur, il existe deux possibilités : les masculins en -eur peuvent avoir un féminin en -euse ou en -eure.
- Les noms qui passent de -eur à -euse viennent, dans la grande majorité des cas, d’un verbe directement lié au nom par le sens.
Par exemple, le nom masculin blanchisseur vient du verbe blanchir. Nous obtenons donc le féminin blanchisseuse. C’est la même chose pour le masculin chauffeur, du verbe chauffer, qui a pour féminin chauffeuse.
- Certaines appellations masculines en -eur viennent directement de noms latins en -or auxquels aucun féminin latin ne correspondait. Pour pallier l’absence de noms féminins, on a créé des féminins par l’ajout du -e au masculin.
Ex. un professeur, une professeure et un proviseur, une proviseure ».
Pour simplifier le tout, je vous propose le mémo suivant :
Le nom que je veux utiliser est-il formé à partir d’un verbe ?
a. Oui : -euse (un chauffeur ˂ chauffer, donc une chauffeuSE ; un programmeur (vient ˂ programmer, donc programmeuSE ; un vendeur ˂vendre, donc une vendeuSE)
b. Non : -eure (ingénieur, ingénieuRE).
2. Que nous disent les dictionnaires ?
Du côté des dictionnaires du français européen, il est intéressant d’observer que le Larousse et Le Robert en ligne n’indiquent que la forme en -euse : entrepreneuse.
Dictionnaire Larousse
Dictionnaire Le Robert
En effet, pour les dictionnaires du français de France, les métiers dont le masculin se termine en « -eur » se déclinent en « -euse » au féminin.
Alors qu’Usito, fondé par l’Université de Sherbrooke au Québec, note ceci « entrepreneur, entrepreneuse » et ajoute une remarque au sujet de la graphie en « -eure » :
REM. Au Québec, on emploie aussi le féminin entrepreneure.
Éva Mignot, dans son article « Entrepreneuse ou entrepreneure : de l’importance du féminin… » explique que le terme « entrepreneure » vient « tout droit du Québec, [et qu’il a été] façonné en même temps qu’ingénieure dans les années 1970. »
Ensuite, la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française cite les deux versions, mais précise que « entrepreneuse » est la version régulière.
Tout comme Antidote, qui mentionne que la forme « entrepreneuse » est préférable. Aussi, il ajoute les statistiques d’utilisation suivantes des deux formes. On constate que « entrepreneure » serait légèrement plus utilisé que la forme en -euse.
Féminin | Proportion |
entrepreneure | 39 % |
entrepreneuse | 32 % |
entrepreneur | 29 % |
3. Flottement de l’usage et concurrence admise par l’OQLF :
En septembre 2020, l’OQLF a mis à jour le contenu de sa formation sur la rédaction épicène.
Dans celle-ci, il traitait entre autres de féminisation des noms communs et dressait un tableau récapitulatif des « 11 noms en -euse, en -eure et en – trice pour lesquels il y a un important flottement dans l’usage ». Pour ces 11 cas ci-dessous, les deux variantes sont acceptées même si l’Office « privilégie de manière générale la forme en -euse ou en -trice (généralement la forme régulière) ».
Formation rédaction épicène OQLF
En bref, les deux se disent. Si vous êtes au Québec, il se peut que vous ayez une préférence* pour le terme « entrepreneure » (même si l’OQLF vous recommanderait « entrepreneuse »), comme le montre le sondage que j’ai réalisé à cet effet sur mon réseau LinkedIn : sur 12 votes, 12 femmes ont répondu se qualifier d’entreprenEURE.
Je vous laisserais donc choisir la version qui vous correspond le mieux et vous inviterais à faire preuve de cohérence dans vos diverses utilisations du terme, que ce soit dans votre titre professionnel, vos cartes d’affaires (de visite), sur votre site Web ou dans vos publications.
Linguistiquement vôtre,
Déborah
*Personnellement, j’ai une préférence pour la graphie « entrepreneure », car le terme « entrepreneuse » a une connotation péjorative pour moi. De la même façon que les féminins suivants : défenderesse, doctoresse, etc.
Pour aller plus loin : http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?Th=1&Th_id=274
SOURCES :
ARBOUR, Marie-Ève, et Hélène DE NAYVES. Formation sur la rédaction épicène, [Fichier PDF], [Québec], Office québécois de la langue française, [2020], 76 p. [https://www.oqlf.gouv.qc.ca/redaction-epicene/formation-redaction-epicene.pdf] (Consulté le 30 novembre 2020).
Entrepreneure (2020). Dictionnaire Larousse. Repéré à https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/entrepreneur/30066?q=entrepreneur#29976
Entrepreneur (2020). Dictionnaire Le Robert dico en ligne. Repéré à https://dictionnaire.lerobert.com/definition/entrepreneur
Usito (2013), dictionnaire général de la langue française sous la direction d’Hélène Cajolet-Laganière, de Pierre Martel et de Chantal-Édith Masson, et avec le concours de Louis Mercier [site Web]. Université de Sherbrooke. Consulté le 30 novembre 2020 (version 1606134426). https://usito.usherbrooke.ca/définitions/entrepreneur
Mignot, É. (2020, 4 février). Entrepreneuse ou entrepreneure : de l’importance du féminin… Les Échos Entrepreneurs. Repéré à https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/management/0602651290305-entrepreneuse-ou-entrepreneure-de-l-importance-du-feminin-334835.php#:~:text=Alors%20faut%2Dil%20dire%20entrepreneuse,en%20%C2%AB%20euse%20%C2%BB%20au%20f%C3%A9minin.